Une charte contre le dumping social

Le gouvernement régional a adopté un plan en sept points. Le groupe socialiste prépare l’étape suivante.

Deux informations récentes.

1) Chaque année, 30.000 Polonais viennent travailler en Belgique, ce qui place la Pologne dans le top 10 des pays qui détachent le plus de travailleurs dans notre pays, apprenait-on mardi à l’issue d’une rencontre entre le secrétaire d’Etat fédéral chargé de la Lutte contre la fraude sociale Philippe De Backer (Open VLD) et le vice-ministre polonais du Travail Marcin Zieleniecki.

2) 20.000 emplois ont été pris en Belgique ces cinq dernières années dans le seul secteur de la construction par des travailleurs détachés, selon les syndicats du secteur de la construction (Centrale générale FGTB et CSC bâtiment, industrie et énergie) qui manifestaient mercredi devant la Direction générale Marché intérieur de la Commission européenne. Autant d’emplois qui ont été perdus par les travailleurs locaux. Un phénomène que le gouvernement bruxellois a récemment décidé de prendre à bras-le-corps, par un plan en sept points (lire ci-contre).

Ce n’est pas la libre circulation des travailleurs européens qui contrarie les autorités bruxelloises. Mais bien la possibilité qui est offerte aux entreprises européennes de proposer des prix défiant toute concurrence… belge, dans le cadre de marchés publics notamment, en tailladant dans le coût du travail via cette option des travailleurs détachés. Soit des travailleurs salariés d’une entreprise implantée dans un Etat membre de l’Union européenne qui sont envoyés temporairement en Belgique par leur employeur.

Une possibilité qui existe au sein de l’Union depuis l’entrée en vigueur d’une directive européenne qui date de 1998, mais qui s’est transformée en phénomène massif depuis l’arrivée dans l’UE des nouveaux adhérents, comme la Pologne en 2004, ou la Roumanie et la Bulgarie en 2007, souligne le député bruxellois PS et bourgmestre de Forest Marc-Jean Ghyssels. Avec pour conséquence qu’« à Bruxelles, on forme par exemple énormément de jeunes aux métiers de la construction, mais qu’on ne les retrouve pas sur les chantiers », ajoute Isabelle Emmery, également députée bruxelloise PS et conseillère communale à Anderlecht.

Dans la foulée de la réflexion du gouvernement régional dans son ensemble, le groupe socialiste au parlement bruxellois a donc notamment organisé dernièrement un colloque sur le sujet, et en a tiré une série d’enseignements dont les deux mandataires se font les porte-parole. Avec pour perspective d’introduire « lorsqu’elle sera aboutie » une proposition de résolution afin de juguler cette concurrence déloyale, assurent les députés.

Certes, de nombreux aspects du dossier ne peuvent être traités qu’aux niveaux fédéral et européen. « Déterminer à partir de quand un travailleur n’est plus détaché, mais assimilable aux travailleurs nationaux, par exemple, détaille Isabelle Emmery. Aujourd’hui, la définition du travailleur détaché est trop floue pour pouvoir assurer un contrôle efficace »

Ou encore définir le seuil de rémunération du travailleur détaché : la directive européenne prévoit bien que celui-ci bénéficie du salaire minimum dans le pays d’accueil, mais d’abord les travailleurs locaux perçoivent souvent un salaire plus élevé que ce minimex, et ensuite, la directive ne considère pas les systèmes de sécurité sociale, qui varient fortement d’un Etat membre à l’autre, avec bien entendu un impact redoutable sur la différence entre salaire brut et salaire net.

Ou encore surveiller la légalité du recours systématique à la sous-traitance, qui brouille tellement les pistes qu’il devient impossible de vérifier si tous les sous-traitants de l’entreprise qui a remporté un marché respectent la législation. « Je me souviens d’un chantier cofinancé par le Fonds européen de développement régional dans ma commune, note Isabelle Emmery. L’entreprise élue avait sur place trois ingénieurs et un grutier. Tout le reste était de la sous-traitance… »

Quand la volonté de fraude n’est tout simplement pas volontaire. Car selon la FGTB, ce sont des centaines d’entreprises qui ont été créées en Roumanie, en Pologne, en Italie ou au Portugal aux seules fins de servir de boîte aux lettres aux grands groupes immobiliers européens, afin qu’ils puissent baisser leurs prix lors d’appels d’offres pour des projets publics.

« Un représentant de la construction a déclaré lors de ce colloque qu’il ne croyait plus que la solution puisse venir de l’Europe, assure Isabelle Emmery. Qui ajoute : les représentants des employeurs proposent de rétablir la concurrence en réduisant le coût du travail par une diminution des charges compensée par une augmentation de la TVA, mais vous comprendrez qu’on ne partage pas ce point de vue… »

Et si la solution ne peut pas venir de l’Europe, vers qui donc se tourner sinon les pouvoirs locaux ?, interrogent les socialistes. Et à la question de savoir s’ils disposent d’autres moyens que de colmater à l’aide de rustines un système européen qui fuit de toute part, Isabelle Emmery répond : « Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? » Tandis que Marc-Jean Ghyssels, qui estime que les pouvoirs locaux, de proximité, sont les seuls à bénéficier encore d’un certain crédit auprès de la population, attaque : « On mène des combats ou pas ? On se laisse manger ? »

Le groupe socialiste au parlement s’apprête donc à proposer d’abord au vote de leurs collègues, puis aux administrations régionales et aux communes, de contraindre les entreprises qui soumissionnent pour des marchés publics à signer une charte de bonne conduite, conditionnant l’octroi du marché. Mais reste à vérifier que les normes qui y seraient inscrites ne seraient pas rejetées par les juridictions européennes pour cause de protectionnisme.

Quelques critères envisagés ? Assurer un logement décent aux travailleurs détachés, par exemple, ce qui est loin d’être toujours le cas. Ou assurer que les travailleurs détachés parlent l’une de nos langues nationales, notamment pour des raisons de sécurité. Envisagée également, la tenue d’un registre des entreprises qui se distinguent par leurs bonnes pratiques, et qui seraient privilégiées par exemple dans le cadre des procédures négociées sans publicité…

Le défi, on le voit, est complexe, peu populaire, et ingrat. « D’autant qu’à chaque fois qu’il y a des modifications dans la loi sur les marchés, c’est toujours pour favoriser l’entreprise par rapport aux mauvais pouvoirs publics contraignants, estime Marc-Jean Ghyssels. Mais toute la question est de savoir ce que l’on veut faire de l’Europe. »

http://www.lesoir.be/1461691/article/actualite/regions/bruxelles/2017-03-16/une-charte-contre-dumping-social





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